Sophia Kuby, philosophe chrétienne allemande, Bruxelloise, travaille pour une OGN internationale. Elle est l’auteur d’un nouvel essai sur le manque et le bonheur, Il comblera tes désirs…même les plus intimes. Interview.
Corpsféminin.com : Le désir, c’est quoi ?
Sophia Kuby : Le désir est cette puissance dans le coeur de tout homme qui nous pousse vers le bonheur. Il nous rend vivant, mobilise notre énergie et notre créativité dans la recherche de son assouvissement. Mais il peut aussi nous amener à assouvir cette soif en nous par des fausses promesses qui semblent très attrayante et qui nous imitent le bonheur, mais qui produisent très vite une tristesse, une soif encore plus grande, même une dynamique de désespoir.
Corpsféminin.com : Faut-il cultiver nos désirs ?
S. K. : Oui, mais à condition de bien comprendre cette dynamique des désirs en nous. Cultiver nos désirs ne veut pas dire être comblé à tout moment. En fait, l’homme n’est jamais complètement comblé. Et tant mieux, car cette soif de « plus » est la caractéristique principale de l’homme. Nous sommes faits pour une éternité de bonheur et cette soif nous fait désirer cette éternité.
Corpsféminin.com : Tous les désirs sont-ils bons ?
S. K. : Les désirs peuvent nous tirailler dans tous les sens, mais là derrière, il y a toujours la même recherche de bonheur. La vraie question n’est pas si le désir est bon ou pas, car l’homme désire toujours un bien. La vraie question est comment nous cherchons à le combler. Par exemple, si je comble mon désir d’être aimé avec une nouvelle aventure amoureuse tous les mois (et une rupture ou déception tous les mois !), je serai très probablement de plus en plus assoiffé(e) d’amour, parce que cette promesse d’amour ne peut pas me donner le bonheur que je cherche. Ceci est vrai aussi pour les autres domaines de notre vie.
Corpsféminin.com : Aujourd’hui, on parle beaucoup de désir sexuel : quels sont les autres désirs ?
S. K. : Ah, il y en a plein ! Le désir de sens, le désir d’être reconnu pour ce que je suis, le désir de succès, le désir de joie, de paix et bien plus. Parfois, nous ne sommes pas conscients de tous ces désirs qui nous habitent et ça vaut la peine de creuser et de connaître ses désirs, de mettre des mots dessus, d’identifier les endroits où on ressent un manque. Et ensuite, je peux réfléchir ce que je peux faire pour avancer dans cette quête de bonheur. Il y a quelques choses bien concrètes que je peux ajuster dans ma vie, mais au fond, cela va m’aider aussi à perdre la peur du manque, compagnon fidèle du désir. Le manque n’est pas obstacle pour être heureux, à condition que je comprenne sa place et sa fonction.
Corpsféminin.com : Dieu, s’il existe, peut-il combler tous nos désirs ?
S. K. : Dieu nous promet cela ! Il suffit de regarder les passages dans la Bible qui nous parlent de l’éternité. Ils parlent d’une grande fête, d’un banquet, de joie, de paix, d’harmonie, de guérison, d’amour…. au fond, tout ce que nous désirons. Ils nous décrivent le bonheur. Si Dieu ne nous avait pas crées pour le bonheur, comment pourrions-nous ressentir ou pressentir ce bonheur que nous désirons autant ? Cette soif de bonheur est une preuve magnifique que Dieu nous a faits pour nous combler dans l’éternité – et il nous donne plein de moments ici sur terre, où nous pouvons déjà goûter à ce bonheur.
Corpsféminin.com : Peut-on y arriver sans lui ?
S. K. : Sans Dieu, notre recherche de bonheur deviendra forcément effrénée, car nous ne pouvons pas trouver le bonheur parfait sur terre. La vie est nécessairement marquée par des moments malheureux, la maladie, le conflit, etc. Mais même les moments de bonheur ne sont jamais éternels. La vie humaine est faite de joie et de peine, mais Dieu nous a faits pour l’éternité où la peine n’existera plus. Vivre dans cette perspective nous permet de donner la juste place à nos désirs, notre recherche de bonheur. Elle donne une direction à notre vie tout en nous permettant de vivre pleinement toutes les belles choses de cette vie à fond.
Corpsféminin.com : À quoi bon résister à tous ses désirs, si on a les moyens de les satisfaire ?
S. K. : C’est la grande question de notre liberté. Oui, je peux choisir de satisfaire un désir avec le premier ‘truc’ qui le satisfait pour un moment. Mais ce moyen ne me rendra peut-être pas heureux, au moins sur le long terme. La question est: est-ce que la satisfaction immédiate de tout désir me fait avancer sur le chemin de bonheur ou est-ce que cela va, au contraire, me rendre toujours plus agité dans ma chasse au bonheur, voire esclave de mes désirs ? Consentir au manque pour devenir libre de faire des bons choix sur les moyens que je vais employer me permettra de grandir humainement et spirituellement et me rendra plus heureux sur le long terme.
Corpsféminin.com : Un célibataire sans vie sexuelle peut-il être comblé puisque ses désirs sexuels ne sont pas remplis ?
S. K. : Le célibat peut être un vrai combat qui, d’ailleurs, ne se limite pas à la vie sexuelle. Je crois que la solitude est un défi plus grand pour un célibataire que sa sexualité. Une vie comblée est tellement plus que d’avoir une vie sexuelle. Il suffit de regarder autour de nous ceux qui ont une vie sexuelle active, mariés ou célibataires, pour se rendre compte que ce n’est absolument pas une garantie de bonheur ! La sexualité est centrale dans la vie humaine, mais elle nous rend heureux si elle est vécue pour exprimer et recevoir l’amour. C’est l’amour qui compte ! Et l’amour ne se limite pas à l’amour conjugal. Il peut se vivre dans des vraies amitiés, dans le partage profond, dans le service, dans l’engagement. Certes, tout cela est différent de l’amour exprimé dans la sexualité, mais on peut le donner et le recevoir aussi intensément et authentiquement là aussi. La question pour le célibataire est : comment est-ce que je peux vivre et grandir dans l’amour ? Comment est-ce que je peux avoir des relations dans lesquelles je peux m’ouvrir en profondeur, me montrer tel que je suis sans jouer un rôle, expérimenter la fidélité dans les amitiés, me donner sans mesure ?
Corpsféminin.com : Les désirs sont-ils un obstacle pour devenir chrétien ?
S. K. : Au contraire ! Sans désir, nous serions des chrétiens à moitié morts. Les évangiles nous montrent sans cesse des êtres de désir, ceux qui crèvent de rencontrer le Messie, d’être guéris, touchés, aimés par Jésus. C’est eux qui font des rencontres bouleversantes avec lui. Le pharisiens, ceux qui mettaient l’observance de la loi au-dessus de tout et qui n’étaient pas animés par leurs désirs, passent à côté de la rencontre avec Jésus. Le désir n’est pas obstacle à la vie chrétienne, il en est la condition.
Corpsféminin.com : Suivre Dieu est exigeant, quelle que soit sa religion, chemin dans lequel toutes nos pulsions ne sont pas assouvies : en quoi est-ce mal ?
S. K. : L’inassouvissement de notre vie, le manque qui est douloureux, fait partie de la vie humaine. Mais il a une fonction vitale, car il nous montre que, fondamentalement, nous ne pouvons pas nous fabriquer notre bonheur nous- mêmes. Dieu nous donne le « mode d’emploi » d’une vie qui va vers le bonheur. Je dis bien, vers le bonheur, car il ne sera jamais parfait sur terre. Oui, c’est exigeant d’accepter le caractère provisoire du bonheur ici et maintenant, mais qui dit qu’une vie exigeante est moins bonne ? Au contraire, c’est l’exigence qui nous tire vers le haut, qui nous fait avancer !
Corpsféminin.com : L’Eglise met-elle une barrière, pose-t-elle un interdit à nos désirs les plus intimes, les plus profonds ?
S. K. : L’Eglise ne cesse de parler du désir dans sa liturgie. C’est particulièrement frappant pendant le temps de carême où l’Eglise nous propose une véritable cure du désir. Le renoncement, le jeûne, le désert que nous vivons pendant ce temps seraient en vain si ils n’étaient pas en même temps une conversion de notre être vers Dieu. Mais qu’est-ce que la conversion ? N’est-t-elle pas l’orientation de nos désirs, même les plus intimes, vers le Bien véritable, vers Dieu qui peut et veut nous donner tout ce qui est bon pour nous ? Sans désir, nous ne pouvons pas avancer vers Dieu. Etant un expert de l’humanité, l’Eglise nous invite à dilater notre cœur, à augmenter nos désirs. La prière de l’Eglise pendant le carême ne cesse de prier Dieu de nous donner un désir plus grand de l’éternité, du Ciel. L’Eglise sait bien que l’homme ne peut pas se combler lui-même, mais Dieu peut transformer, purifier, habiter nos désirs et c’est là où commencent une vie authentique et un chemin de bonheur.
Corpsféminin.com : Il comblera tes désirs est le titre de votre livre. De qui s’agit-il ?
S. K. : Je vois que beaucoup de chrétiens trouvent difficile de donner la juste place à leurs désirs. Ils ne voient qu’une alternative : céder à tout désir de manière effrénée ou étouffer les désirs et agir par pur principe et devoir. Mais la vie chrétienne à laquelle Jésus nous invite est tellement loin de cela ! Dieu veut au-dessus de tout que nous soyons authentiques et en vérité avec lui, avec nous-mêmes, avec les autres. Travailler sur une bonne orientation de nos désirs – qui nous permet un bon discernement sur les moyens que nous allons employer pour les combler – est essentiel. Dans mon livre, j’ai essayé de répondre à ces malentendus malheureux et à tracer un autre chemin qui prend en compte l’importance du désir, mais aussi de sa conversion. Il est aussi un témoignage, car tout ce que j’écris est aussi du vécu.
Corpsféminin.com : Jésus-Christ parle de la soif : quel lien avec le désir ?
En exprimant sa soif, Jésus montre que lui aussi a des désirs. La soif de Jésus n’est pas seulement physique. C’est une soif de vérité, une soif d’être reconnu par nous comme celui qui nous aime, sauve, libère, guérit, bref : celui qui est la réponse à nos désirs.
Corpsféminin.com : Vous parlez dans votre livre de la Samaritaine : nous n’avons pas tous forcément eu cinq conjoints, certains d’entre nous sont déjà très heureux, est-ce que Jésus a quelque chose à nous apporter quand-même ?
Une vie comblée et heureuse est quelque chose de magnifique et nous donne déjà un avant-goût du Ciel. Vivre tous ces instants dans cette perspectives les rend encore plus beaux. Mais ils ne sont que des instants en comparaison avec la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour qui nous attend dans l’éternité ! Cette éternité nous est donnée, nous y sommes invités gratuitement et même l’homme le plus heureux qui soit doit un jour, face à son créateur, faire le choix d’accepter cette invitation ou pas. Jésus ne nous apporte pas d’abord une vie plus heureuse ou plus facile, mais le salut éternel.
Corpsféminin.com : Jésus peut-il encore offrir quelque chose à quelqu’un qui a une vie brisée ?
Ah, mais le médecin est venu pour les malades et non pour les bien-portants ! C’est Jésus lui même qui dit cela. Il est venu avant tout pour guérir et sauver. Nous avons tous besoin de guérison, mais je suis certaine que ceux qui ont une vie brisée auront une joie incomparable quand ils seront rétablis par Jésus. Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers…
Corpsféminin.com : Quel est rapport entre Jésus et le désir, n’est-on pas à côté de la plaque ?
S. K. : Jésus n’arrête pas de parler au désir profond de l’homme. Il ne veut pas des robots qui suivent des règles, mais il veut des hommes et des femmes libres qui se laissent toucher par Lui, dans leur intimité.
Corpsféminin.com : En quoi notre vie sexuelle, et tous nos désirs, regardent-ils Jésus ?
S. K. : Tout ce que nous sommes regarde Jésus, car il est venu nous sauver pas à moitié, mais entièrement. Dieu nous a faits et il nous a fait cet immense cadeau de la sexualité. Mais cette harmonie entre l’homme est Dieu et, en conséquence, entre les hommes a été blessé par ce premier acte de méfiance de l’homme envers Dieu qui, mystérieusement, marque l’humanité entière. Nous avons besoin d’être sauvés de cette méfiance, de tout ce qui en nous est détourné de Dieu. Notre sexualité en fait partie, elle est même au cœur de cette lutte.
Corpsféminin.com : Et vous, qu’est-ce que Jésus vous apporte dans vos propres désirs ?
S. K. : Le jour où j’ai compris que Jésus voulait mon bonheur et que c’est en lui et avec lui que mes désirs trouvent leur juste place et leur ultime réponse, ma vie a profondément changé. Le manque perd son caractère anxiogène et devient même un lieu où Jésus me touche tout particulièrement. C’est cette expérience qui permet une vraie conversion des désirs et le fruit est une vie plus authentique, plus heureuse.
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