Blanche Streb est docteur en pharmacie. Après avoir travaillé pendant douze ans en recherche et développement dans l’industrie pharmaceutique, elle est aujourd’hui directrice de la formation et de la recherche d’Alliance Vita et vient de publier Bébés sur mesure, le monde des meilleurs. Interview.
Corpsféminin.com : Qu’est-ce que la procréation artificielle ou médicalement assistée ?
B. S. : L’assistance médicale à la procréation regroupe l’ensemble des techniques visant à poser un diagnostic, à restaurer ou à contourner les problèmes de stérilité ou d’infertilité d’un couple. Aujourd’hui en France, elle n’est autorisée que pour les couples composés d’un homme et d’une femme, en âge de procréer et dont l’infertilité médicale a été constatée.
Corpsféminin.com : En quoi consiste-t-elle, concrètement ?
B. S. : C’est multiple. Cela va de l’insémination de sperme, à la stimulation ovarienne à la fécondation in vitro, en passant par les dons de gamètes et l’accueil d’embryons congelés.
Corpsféminin.com : N’est-ce pas fantastique de pouvoir aider aujourd’hui un homme et une femme qui s’aiment à avoir des enfants s’ils n’y arrivent pas naturellement ?
B. S. : Les méthodes d’assistance à la procréation sont nées de la rencontre entre la science et la souffrance vécue au cœur du couple, quand l’enfant se fait attendre. Un certain nombre de techniques permettent de comprendre les causes de l’infertilité et parfois même de les résoudre pour restaurer la fertilité Un dérèglement hormonal, des trompes bouchées, etc. Il existe des moyens éthiques et intégralement respectueux de la femme, de l’homme, du couple et de l’enfant. En cela, c’est fantastique en effet. Mais attention il y a un vrai revers de la médaille. Toutes les techniques « ne se valent pas » en termes de respect des personnes, de respect de la procréation humaine et de l’enfant à naître.
Corpsféminin.com : Si on prend le cas de la FIV, quels problèmes cela peut-il poser ?
B. S. : La première préoccupation est qu’elle dissocie la sexualité de la procréation. La FIV coupe la conception de l’enfant du corps de ses parents pour s’en remettre à la technique. Elle rend l’embryon « disponible » sous l’œil du biologiste, qui a alors la possibilité de les trier, les sélectionner, les modifier, les congeler et les couper du temps ou les déplacer d’un pays à l’autre… Peu à peu, un nouvel eugénisme technologique se met en place et ouvre la voie à la dramatique marchandisation mondiale des gamètes et des corps. Par ailleurs, ayons en tête certains chiffres : toutes méthodes de procréation confondues, il aura fallu en moyenne 18 embryons pour aboutir à une naissance, par échec ou par destruction. Par ailleurs, en France, plus de 220 000 embryons sont congelés, coupés du temps qui s’écoule, et 30% d’entre eux sont abandonnés. Dans le monde de la procréation assistée, glaçante réalité, il y a du « déchet humain ».
Corpsféminin.com : Peut-on aujourd’hui avoir un bébé sur mesure ?
B. S. : Oui. Comme je l’explique dans mon livre, c’est une pente glissante sur laquelle nous sommes déjà embarqués. L’ère du bébé sur mesure s’ouvre et ordonne un double mouvement simultané. Le premier est tiré par l’exigence d’avoir le « meilleur bébé possible », trié pour répondre à des critères prédéterminés. Le second exige de plus en plus, de la science et de la technique, de répondre au désir d’avoir « un enfant à tout prix », même si pour cela il faut lui faire courir certains risques sur sa propre santé. Finalement, ce sont là les deux faces d’une même médaille dans laquelle miroite une tentation de toute-puissance.
Corpsféminin.com : En quoi cela pose des problèmes éthiques, si cela facilite la vie de famille d’avoir un enfant en bonne santé et ayant tous les atouts possibles pour sa vie ?
B. S. : Tout le monde rêve d’avoir un enfant en bonne santé, cette aspiration me semble normale et complétement légitime. Mais faire entrer « la technique » dans la procréation humaine n’est pas neutre. Et à l’heure du « vivre ensemble », c’est le droit à la vie qui est plus que jamais menacé. L’homme, au fond, s’est attribué le pouvoir de donner ou de retirer un droit à la vie à ceux d’entre nous qui sont à un stade d’immense vulnérabilité : au tout début de la vie. La technique aboutit aujourd’hui à cette situation : à juger quelle vie vaut, ou ne vaut pas, la peine d’être vécue. Cet arbitraire tamis nous aurait peut-être tous mis au tapis. Nous pouvons nous demander qui d’entre nous passerait les mailles du filet que nous imposons à ceux qui construisent ce monde de demain ? Car nous sommes tous génétiquement imparfaits. On observe un véritable effet toboggan : les maladies graves et incurables justifient le tri embryonnaire. Puis le glissement s’opère : on recherche ensuite des anomalies moins graves, puis de simples prédispositions, ce sont des gènes dont on sait qu’ils sont un facteur de risque pour déclencher tel ou tel type de maladie, dont rien pourtant n’assure avec certitude de la survenue. Ce sont ensuite des critères esthétiques qui peuvent être recherchés. Par exemple, la couleur des yeux est un ‘marché’ qui s’ouvre. Quel besoin a-t-on d’avoir un enfant avec des yeux de telle couleur ? Le désir naît car la technique le permet. Et cela va jusqu’au choix du sexe. Aux États-Unis, des couples qui ne sont pas infertiles font des FIV, pour quelques milliers de dollars, afin de faire trier leurs embryons et ne garder que ceux dont le sexe convient à leur attente. Voici que la discrimination entre les garçons et les filles se technicise, et s’invite dès l’origine de notre vie : au stade de quelques cellules… Quant à imaginer que créer un bébé parfait et ayant tous les atouts est possible, c’est une utopie absolue. Nous ne nous résumons pas à notre code-barres génétique, la vie est bien plus complexe que cela, et rien n’empêchera jamais les accidents ou les épreuves de la vie. Refuser l’imprévisible « par avance » en pensant programmer au mieux son bébé, c’est se donner les meilleures chances de tuer le bonheur dans l’œuf !
Corpsféminin.com : Existe-t-il déjà des bébés génétiquement modifiés ?
B. S. : Oui, les bébés nés de FIV à 3 parents. Le bébé le plus connu et emblématique est né au Mexique. D’autres bébés encore sont nés en Ukraine en dehors de tout radar éthique. Et des grossesses sont annoncées en Grande-Bretagne qui est le seul pays au monde à avoir autorisé cette pratique très controversée et décriée (en particulier par les médecins et pédiatres). La FIV à 3 parents n’est une pratique ni sure ni efficace et fait de l’enfant ainsi conçu in vitro, avec deux ovules et un spermatozoïde, un ‘cobaye’… à vie !
Corpsféminin.com : Augmenter l’homme ou la femme, pourquoi pas ?
B. S. : C’est un vieux rêve de l’Homme, porteur d’une ambition à se dépasser et à améliorer nos conditions de vie qui a permis d’immenses progrès. Mais les mutations que proposent les biotechnologies aujourd’hui sont d’un nouvel ordre. C’est peut-être là que trouve son apogée la tentation de l’Homme de se prendre pour Dieu, quitte à tordre les lois de la nature pour les plier à ses désirs. Augmenter l’homme me semble une fausse promesse de bonheur. Les technologies, et surtout la mentalité qu’elles induisent, risquent de se retourner contre nous…
Corpsféminin.com : Si tout devient possible pour l’homme et la femme, tout est-il bon et bien pour autant ?
B. S. : Le possible et le « souhaitable », ce n’est pas la même chose… Un progrès technologique ne crée pas forcément un progrès humain. Demandons-nous à chaque fois si ce qui nous est présenté comme une innovation technologique constitue un progrès humain authentique, si elle contribue à nous rendre plus, ou moins, humain… faire porter, par une mère porteuse, un enfant conçu par des gamètes congelés de deux personnes déjà décédées est possible. Mais est-ce souhaitable, bien et bon ? Évidemment, non…
Corpsféminin.com : Comme femme, que pensez-vous de ces expériences de procréation qui interviennent sur le corps féminin ? Cela est-il sans risque ?
B. S. : Le changement de mentalité autour de la procréation humaine me semble dangereux, surtout pour les femmes. Ce n’est pas sans risque d’un point de vue de la santé, d’abord : les stimulations hormonales, les ponctions ovariennes, les grossesses tardives, le don d’ovocyte etc. toutes ces techniques augmentent les dangers pour la mère et pour l’enfant. D’un point de vue psychologique, c’est pareil. Les couples parlent de « parcours du combattant ». Ces mots sont forts, d’autant plus quand on sait que 3 couples sur 4 restent sans enfant, à la fin…
Pour aller plus loin : Bébés sur mesure, le monde des meilleurs, Artège, 2018 (sur Amazon)
Commentaire (1)
24 février 2022 at 14 h 18 min
merci pour ce joli article, les questions de maternité et de PMA sont très complexes avec notre loi bioéthiques farfelue, nous n'avons pas pu faire une GPA après les échecs FIV, je remercie en passant le groupe A. Feskov qui nous a donné cette chance inespérée de faire légalement une GPA avec leur bureau de Bruxelles! bon courage à toutes