Comment assumer sa féminité ? Etre heureuse ? Interview exclusif de Séverine-Arneld Hibon, auteur du livre Madame fait de la résistance (Cerf, 2017). Mariée à Jean-Baptiste Hibon (Une sacrée erreur, 2015), elle élève leurs trois garçons tout en étant écrivain.
Corps féminin.com : Vous définissez-vous comme une féministe ?
Séverine-Arneld Hibon : Pas tellement… ce mot manque de sens pour moi, mais je défends la dignité féminine, mille fois oui !
Corps féminin.com : Pourquoi faire de la résistance, aujourd’hui ?
S.-A. H. : Pour remettre l’homme et la femme au centre de la vie, et pas le « tout-économique » ou le « tout-financier », que je considère comme un véritable esclavage! Alors cela demande un choix exigeant, une résistance à la société de consommation, puisqu’il pousse à choisir la qualité de vie plutôt que le niveau de vie.
Corps féminin.com : Résister à quoi ?
S.-A. H. : A ce qui aliène l’humanité : les désirs de toute-puissance, qui nous coupent de notre réalité, de nos racines, de notre relation charnelle à la création. Les contraintes du réel sont le terreau de notre créativité – et je le dis en tant qu’écrivain, auteur de fiction.
Corps féminin.com : Comment peut-on libérer le féminin ?
S.-A. H. : En apprenant ce qu’est être femme ! En quoi est-ce différent d’être un homme ? Rien que se poser la question entame un chemin de libération.
Corps féminin.com : Comment une femme peut-elle aujourd’hui assumer toute sa dimension féminine ?
S.-A. H. : En entrant dans le mystère de la féminité, dans ses complexités, ses exigences, tout en apprenant à l’accorder à ses dons personnels. C’est une aventure prodigieuse, loin de toute banalité et de tout stéréotype.
Corps féminin.com : Quel est pour vous la place du corps féminin dans l’épanouissement de la femme ?
S.-A. H. : Il me semble qu’il est fondamental. Je n’existe, je ne perçois la vie, comme femme, comme homme, qu’au travers de mon corps, de son rythme, de ses sensations. C’est ma donnée de base pour appréhender l’univers. C’est mon lien à la création. C’est une dimension merveilleuse de la vie, le seul lieu où je suis à la fois en contact et en communication avec l’extérieur, et entièrement en lien avec les profondeurs de la vie qui m’habite. Comment ne pas l’écouter, si je veux être heureuse?
Corps féminin.com : L’Eglise catholique, composée essentiellement d’hommes, se permet souvent de parler des femmes, en quoi cela la regarde?
S.-A. H. : Jusqu’à preuve du contraire, l’Eglise catholique dans le monde est composée pour moitié de femmes ! Ce sont les baptisés qui composent l’Eglise, pas seulement les prêtres et les évêques ! Et comme le christianisme considère les deux dimensions masculine et féminine de l’humanité sexuée, il cherche à permettre l’épanouissement de cette différence pour en permettre la plus grande fécondité possible : sociale, spirituelle, artistique… Les femmes chrétiennes catholiques parlent aussi d’elles-mêmes, et elles sont écoutées. J’ai d’ailleurs été lancée sur ce sujet par les trois derniers papes, en tout premier par Jean-Paul II quand il s’est écrié, à Lourdes, quelques mois avant de mourir : « Vous les femmes, vous êtes les sentinelles de l’Invisible! » Il m’a bouleversée et mise en route. Benoît XVI et François ont ensuite creusé l’appel…
Corps féminin.com : Que l’on soit croyant ou non, Jésus a eu une attitude révolutionnaire envers les femmes de son époque : peut-il encore aujourd’hui leur apporter quelque chose ?
S.-A. H. : Bien sûr ! Il nous apprend à être en vérité avec nous-mêmes, avec les aspirations profondes et la liberté qui résident en chacune de nous. Rencontrer Jésus Vivant, c’est une expérience concrète, qui bouleverse toute notre vie. Je crois volontiers que toute personne peut se sentir spécialement proche d’un personnage cité dans les Evangiles. Faites l’essai… Vous avez un frère ou une soeur parmi eux, un miroir qui vous révèle quelque chose de vous-même.
Corps féminin.com : Etes-vous heureuse d’être une femme catholique ?
S.-A. H. : Profondément heureuse!
Corps féminin.com : Pourquoi ?
S.-A. H. : J’ai la joie immense de croire en Jésus-Christ, à la résurrection des corps, à la vie éternelle, et de bénéficier d’une tradition millénaire d’une extraordinaire richesse spirituelle, artistique, intellectuelle, sociale !
Corps féminin.com : Selon vous, les femmes ont-elle une juste place dans l’Eglise ?
S.-A. H. : Non, bien sûr, étant donné la nature humaine, pas plus que dans le reste de la société ! Mais l’Eglise cherche à se rapprocher de l’Evangile, je le vois tous les jours dans ma paroisse et dans mon diocèse. Il y a des abbesses, des responsables de congrégations, des responsables de services entiers dans l’Eglise (services caritatifs, formation, théologie, droit canonique, officialité, chancellerie, etc) qui sont des femmes et sont décisionnaires. On en parle peu, mais leurs responsabilités sont bien réelles.
Corps féminin.com : Que dit l’Eglise de la femme ?
S.-A. H. : Qu’elle est irremplaçable ! Et que la « place forte » qu’est son corps, cet espace sacré, inaliénable et habitable, (c’est le sens donné par la Bible) apprend à nos sociétés à être plus justes, plus douces, plus respectueuses, plus sensibles à la fragilité et à la beauté de la vie. Il y a pour moi un lien terrifiant entre le déni de la féminité et les totalitarismes : ceux du passé et ceux d’aujourd’hui, transhumanisme, terrorisme islamique… Je l’évoque déjà un peu dans mon livre et je continue à y réfléchir.
Corps féminin.com : Quelles sont les grandes figures féminines catholiques qui vous marquent le plus et pourquoi ?
S.-A. H. : Je suis très marquée par les intellectuelles du Moyen Age comme Hildegarde de Bingen ou Gertrude de Helfta, par Thérèse de l’Enfant Jésus et Elisabeth de la Trinité au XIXe, et au XXe siècle par Marie Noël, mon poète préféré, par la théologienne Maria Teresa Porcile Santiso, par la philosophe Edith Stein, par l’historienne Régine Pernoud, par Madeleine Delbrêl… Chez toutes il y a une féminité assumée (quelles que soient les failles personnelles), un mélange de poésie, de sensibilité à la nature, et une solidité de la pensée qui rayonne dans tous les domaines de la société.
Corps féminin.com : Aujourd’hui le physique, la performance ont une place essentielle dans notre société, pourtant vous avez choisi de vous marier avec une personne handicapée. Comment avez-vous pu faire ce choix ?
S.-A. H. : Ah, ça c’est LA question qu’on finit toujours par me poser ! J’y réponds souvent par une question qu’un adolescent m’a posée un jour: « Si Jean-Baptiste n’était pas handicapé, l’aurais-tu épousé ? » Eh bien la réponse est : « Non, je ne l’aurais pas épousé s’il avait été valide, parce que ce serait un homme différent et nous n’aurions rien eu à nous dire… » Et puis, avec sa fragilité physique, les prouesses que réalise Jean-Baptiste m’émerveillent, et par-dessus le marché, je le trouve beau ! Mon amour pour lui est bien incarné ! Et puis nous sommes passionnés tous les deux par le même sujet : comment remettre l’homme et la femme, dans tous leurs états, y compris les plus fragiles, au coeur de la société ?
Corps féminin.com : Inversement, alors qu’une femme peut peut-être plus facilement faire abstraction du physique, un homme peut-il aimer une femme handicapée, selon vous ?
S.-A. H. : Je ne crois pas qu’une femme puisse faire abstraction du physique… Nous sommes attirées physiquement par certains types d’hommes, tout comme les messieurs sont attirés par certaines femmes ! Je n’aurais pas pu épouser un homme sans en être amoureuse. C’est vrai, il nous est plus facile d’aller vers l’être de la personne sans nous arrêter uniquement à l’apparence, (et si vous voulez creuser pourquoi, lisez mon livre!) mais je connais des couples magnifiques homme valide-femme handicapée qui vivent un amour très profond. Il faut que je vous les présente ! C’est sans doute lié avant tout à l’expérience de vie.
Pour aller plus loin : Madame fait de la résistance: être une femme de ressurection, édition du Cerf, 2017 Séverine-Arneld Hibon (livre disponible sur fnac.com et dans votre librairie préférée)
Commentaires (2)
19 juillet 2018 at 11 h 43 min
Super article. Cette personne est formidable.
Faites attention à la mise en page. Continuez ce qui est en gras pour toutes les questions. Si vous mettez votre nom entier avant toutes les questions faites de même avec la personne interviewée ou bien l’inverse, là cela jure un peu.
Rappelez le titre du livre et l’auteur dans le pour aller plus loin au lieu d’imposer l’achat sur Amazon car beaucoup tout comme moi n’aime pas cette plateforme.
8 octobre 2018 at 12 h 14 min
Merci pour ces remarques, Amazon est pratique mais la librairie de quartier bien plus conviviale.